OTHER / THE
Peter Downsbrough (°1940, New Jersey) vit et travaille à Bruxelles depuis 1989. Depuis la fin des années soixante, il développe une œuvre multiforme – sculpture, livres, films, photographies et interventions spatiales – dans laquelle la relation avec l’espace et le langage est centrale. Ses travaux invitent le spectateur à une autre lecture de l’espace. Le concept d’espace étant abordé ici au sens large : outre l’espace d’exposition classique et l’espace de l’architecture, il englobe aussi l’espace public, ainsi que l’espace qui apparaît au sein des pages d’un livre.Dans les travaux de Downsbrough, ces différents espaces sont habités par des figures géométriques simples, telles que la ligne ou le rectangle, ainsi que des mots tels que AND, OR ou ON. Ces mots et ces formes définissent l’espace, le découpent et le délimitent. Ils nous font réfléchir à la façon dont nous comprenons l’espace qui nous entoure. En même temps, ils offrent la possibilité d’une nouvelle relation entre des notions telles que lieu et espace, entre langage et signification.Les formes prises par ces interventions spatiales sont diverses. Parfois elles se matérialisent par de l’encre sur du papier – sur des feuilles isolées ou sous forme de livres. À d’autres moments, il s’agit de ruban adhésif noir et de lettres collées sur un mur, ou de structures métalliques et de mots introduits dans l’espace public. C’est ainsi que l’œuvre AND / MAAR, OP - AND / POUR, ET se dresse depuis 2003 sur le boulevard Émile Jacqmain à Bruxelles. La spécificité de ces interventions dans l’espace public est d’exercer une influence sur la façon dont nous regardons la ville.
Tout comme la ville servant d’arrière-plan n’est pas une toile vierge, Downsbrough intervient aussi sur des images qu’il a récupérées, par exemple des cartes postales. Les lignes et les mots qu’il ajoute sur ces cartes compartimentent ou délimitent davantage ces vues. Certes, les cartes postales ne montrent de toute façon qu’un fragment de la réalité, mais les éléments ajoutés par Downsbrough stimulent notre imagination et font en quelque sorte éclater ces représentations.Peter Downsbrough a également une importante pratique vidéo. Ses films interrogent les fonctions et l’usage de l’espace urbain, et se veulent des témoins discrets des espaces publics oubliés, ainsi que des différentes structures qui les encadrent – politiques, économiques ou sociales. Il est allé filmer dans divers quartiers Bruxellois – dont la Cité administrative de l’État (datant de 1958) ou dans les quartiers situés entre la Gare du Midi et le Centre d’art contemporain Wiels. Il y a une dizaine d’années, Downsbrough créait A] PART, filmé dans le garage Citroën sur la place Sainctelette, encore en activité à l’époque. Ce film a récemment été montré dans le nouveau Kanal/Pompidou – qui a réaffecté ces bâtiments industriels en lieu d’exposition.Au fond, on pourrait dire que l’œuvre de Peter Downsbrough se compose de lignes, de lettres, de coupures et d’espaces intermédiaires. Dans toute leur simplicité, ces approches forcément diverses génèrent de nouvelles significations complexes et soulèvent des questions sur la relation entre l’image et son contexte, sur la position du spectateur par rapport à l’œuvre, et sur la place des différents éléments dans les structures de la langue, de l’architecture, de l’urbanisme et de la politique.Pour A Temporary Monument for Brussels, Downsbrough a créé OTHER / THE (2020). L’image montre un rectangle incliné avec les mots OTHER et THE. Dans ce projet, l’image est divisée en cinq parties, et même le mot OTHER est divisé sur un axe vertical tout en s’inscrivant sur deux bannières différentes. Cette image éclatée peut seulement se lire de façon fragmentaire ; et, selon la position du spectateur, ce sont toujours d’autres morceaux de la ville qui viennent s’y glisser.Dans ce jeu du tout et de ses parties, THE et OTHER sont des concepts parfaitement lisibles. L’AUTRE fait référence à l’autre côté, le reste, ce qui est hors normes – hors de nous, hors de la ville, hors de notre société. On pourrait comprendre cette œuvre comme une célébration de cet autre. Une société est constamment en mouvement et cherche toujours un équilibre entre « nous » et « l’autre ». Lorsque l’autre s’impose et devient la nouvelle norme, ce qui nous paraît normal aujourd’hui peut rapidement devenir anormal – si bien que le concept de « l‘autre » peut parfois susciter des réticences. L’artiste n’a pas créé cette œuvre en tant que réponse spécifique aux difficultés qu’a notre société à développer un caractère inclusif, mais elle peut certainement s’interpréter ainsi dans le contexte politique actuel de BlackLivesMatter.
Peter Downsbrough a montré ses travaux dans d’importants musées internationaux tels que : Mies van der Rohe Pavilion, Barcelone ; Musée d’art contemporain, Lyon ; S.M.A.K., Gand ; Muzeum Sztuki, Łódź ; FRAC Bourgogne, Dijon ; BOZAR, Bruxelles ; MAMCO, Genève et Van Abbemuseum, Eindhoven. Son œuvre fait partie d’un grand nombre de collections publiques, dont Muzeum Sztuki, Łódź ; Centre Pompidou, Paris ; MACBA, Barcelone et MoMA, New York. Peter Downsbrough est représenté par la Galerie Thomas Zander, Cologne ; Barbara Krakow Gallery, Boston ; àngels, Barcelone et Galerie Martine Aboucaya, Paris.
OTHER / THE est dédié à l’architecte bruxellois Christian Kieckens, récemment décédé. Christian habitait à Sainctelette ; ces dernières décennies, il a développé divers projets avec Peter Downsbrough. En tant qu’organisateurs du présent projet, nous avons partagé un bureau avec Christian. Nous allons tous le regretter.